Dans un contexte où les géants de la technologie cherchent désespérément des sources d'énergie pour alimenter leurs centres de données massifs et, en particulier, les puissants processeurs qui forment la colonne vertébrale de l'industrie de l'intelligence artificielle (IA), le nucléaire émerge comme une option prometteuse. Cependant, plusieurs interrogations subsistent quant à la perception du public, aux coûts associés et, surtout, au temps nécessaire pour que ces nouvelles technologies nucléaires deviennent réellement viables.
Pour beaucoup d'Américains, évoquer "Three Mile Island" équivaut à mentionner des catastrophes nucléaires telles que "Fukushima" ou "Tchernobyl". Ces noms sont devenus synonymes de désastre nucléaire, sans qu'il soit nécessaire d'en fournir les détails. L'histoire réelle derrière ces incidents est cependant plus complexe. En mars 1979, l'un des deux réacteurs de la centrale de Three Mile Island en Pennsylvanie a partiellement fondu, entraînant l'accident nucléaire le plus grave de l'histoire des États-Unis. Bien qu'il ait provoqué des inquiétudes considérables, les conséquences furent relativement limitées par rapport à celles des catastrophes survenues au Japon et dans l'ancienne Union soviétique. Il n'y a eu aucune fatalité et très peu d'effets à long terme sur la santé, bien que des études scientifiques aient produit des conclusions variées sur ce sujet.
Ce qui a largement contribué à la péjoration de la réputation de l'énergie nucléaire aux États-Unis, c'est la sortie d'un film intitulé "The China Syndrome", qui a été diffusé peu avant l'accident. Ce thriller mettait en vedette Jane Fonda dans le rôle d'une journaliste enquêtant sur des problèmes de sécurité dans une centrale nucléaire. Même s'il s'agissait d'une œuvre de fiction, les parallèles avec l'accident de Three Mile Island ont eu un impact durable sur la perception de l'énergie nucléaire.
Récemment, la centrale de Three Mile Island a de nouveau attiré l'attention, non pas en raison d'un accident ou d'un film à succès, mais grâce à un accord signé par Microsoft pour acheter l'énergie produite par le réacteur encore opérationnel de la centrale. Cet événement s'inscrit dans une tendance plus large où la Silicon Valley se tourne vers de nouvelles sources d'énergie pour répondre à la demande croissante alimentée par l'IA. Le nucléaire pourrait répondre à ce besoin de deux manières : en offrant une source d'énergie constante et, contrairement aux combustibles fossiles, en étant une solution sans carbone.
Microsoft n'est pas seul dans cette initiative. Des entreprises comme Google et Amazon investissent également dans des projets nucléaires, bien qu'elles explorent une technologie plus récente connue sous le nom de réacteurs modulaires petits (SMR). Ces SMR fonctionnent à des températures plus basses, ce qui, en théorie, réduit le risque de fusion du cœur. De plus, leur taille réduite se traduit par des coûts de construction moins élevés. Actuellement, deux de ces petits réacteurs fournissent une quantité relativement modeste d'énergie aux réseaux électriques, l'un en Chine et l'autre dans l'Extrême-Orient russe.
À première vue, les SMR semblent être la solution idéale pour répondre à la demande énergétique croissante de l'IA. Cependant, la réalité est plus complexe. Selon Allison Macfarlane, ancienne présidente de la Commission de réglementation nucléaire des États-Unis et maintenant professeure à l'Université de Colombie-Britannique au Canada, "la plupart des SMR existent sur papier" et n'ont pas encore dépassé le stade des tests. La commercialisation de cette technologie s'avérera difficile, car un cœur de réacteur plus petit signifie également une efficacité réduite, produisant moins d'énergie pour la même quantité de combustible. Macfarlane estime que les SMR sont encore à plusieurs années d'une viabilité financière.
Cependant, malgré ces défis, les entreprises énergétiques et les géants de la technologie continuent d'investir massivement dans la recherche et les projets pilotes. Par exemple, Kairos Power, un partenaire de Google, espère produire 50 mégawatts d'énergie nucléaire d'ici 2030, ce qui équivaut à l'énergie nécessaire pour alimenter une petite ville. L'entreprise a établi ses locaux à Oak Ridge, dans le Tennessee, un site nucléaire américain de longue date qui a joué un rôle crucial dans le projet Manhattan, lequel a conduit à la création de la première bombe atomique. Kairos décrit Oak Ridge comme un "terrain d'essai" et a déclaré à la BBC que des techniques de construction avancées augmenteraient l'efficacité et réduiraient les coûts.
Cependant, même avec ces ambitions, des experts mettent en garde contre l'optimisme excessif. En plus des défis techniques, il y a la question cruciale de l'acceptation publique. L'énergie nucléaire, bien qu'elle soit considérée comme une solution potentielle pour réduire les émissions de carbone, reste associée à des craintes profondément ancrées liées à la sécurité et aux catastrophes. Les entreprises doivent naviguer dans un paysage complexe où l'innovation technologique doit être accompagnée d'efforts de communication pour rassurer le public.
Alors que les entreprises technologiques se précipitent pour saisir l'opportunité présentée par l'énergie nucléaire, il est évident que des défis considérables subsistent. Les progrès technologiques, l'acceptation publique et la viabilité économique sont autant de facteurs qui détermineront le succès ou l'échec de ces initiatives. Les ambitions de Microsoft, Google et autres, bien que prometteuses, doivent faire face à la réalité d'un secteur nucléaire qui évolue lentement et qui doit encore prouver sa capacité à répondre aux besoins croissants d'énergie d'une société de plus en plus numérisée et dépendante de l'IA.
En résumé, l'engagement des grandes entreprises technologiques envers l'énergie nucléaire représente un tournant potentiel dans la manière dont nous produisons et consommons de l'énergie. Toutefois, le chemin vers une adoption généralisée de cette technologie est semé d'embûches, et il est crucial de continuer à surveiller l'évolution des projets nucléaires, tout en gardant à l'esprit les leçons du passé et les préoccupations du présent.